L'Expérience des pierres - installation - 2020

L'Expérience des pierres - Teaser de l'installation  - 2021

L'expérience des pierres - 2020/2021 - Une installation sur l'illusion


Cette installation poétique mobilise tous les sens et propose une mise en scène
de pierres imaginaires, sorte de chimères minérales qui lient l'humain et la nature.

C'est une collection minéralogique illusoire, où les minéraux sont travestis par le geste artistique.

Pour cela, j’ai créé des objets minéraux dont l’étrangeté aiguise la curiosité du visiteur :
les ARTÉFACTS, les CORPUSCULES, les LITHOPTIQUES, les GÉODES...

Cette installation/exposition est toujours en transformation. Elle s'agrandit peu à peu, pas à pas, dans le temps...

LES ARTÉFACTS

Au départ, il y a une petite pierre, trouvée dans la nature.
Mon travail consiste à prolonger cette pierre, de façon à leurrer le spectateur et à jouer sur l'ambiguïté du réel. 

LES CORPUSCULES

Peut-être sont-ils les poussières de pierre qui flottent dans les rayons du soleil,
agrandies et rêvées à travers un microscope imaginaire ?

LES LITHOPTIQUES

Ce sont des longs parallélépipèdes noirs, percés de loupes. Intrigants, ils ressemblent à quelques savants instruments optiques.
Ils nous révèlent par les lentilles grossissantes successives, des sortes d’échantillons minéralogiques, de bijoux de pierre ou une mini-histoire minérale. 

LES GÉODES

 
Elles jouent entre le vide et le plein, le caché et le visible, le précieux et le brut, 
architectures minérales imaginaires, grottes mystérieuses, cabanes de pierres sèches, temples voûtés...
 

LA SCÉNOGRAPHIE

Indissociable de la proposition artistique, à la fois sobre et forte, quasi muséale, elle se veut la parodie poétique d’une exposition scientifique de minéraux
et fait appel à tous les sens (éclairage, mobilier, sol de marne, loupes, musique lithophonique),  

Écouter les pierres

     Depuis trois décennies, Pascale Beauchamps convertit en art une fascination pour les pierres qui enflammait déjà ses rêves d'enfant. Elle s'intéresse plutôt aux cailloux sur lesquels les phénomènes naturels ont laissé leur empreinte au cours des temps. Elle les récolte elle-même et les utilise en l'état, sans les retoucher. Elle crée notamment avec eux de saisissantes œuvres monumentales qui sont autant de plausibles foisonnements naturels de petites pierres. Elle aime ainsi cultiver l'ambiguïté, le jeu.

     Pour élargir sa recherche, l'artiste entreprend de souligner l'originalité plastique de cailloux un peu plus volumineux. Elle respecte bien sûr fidèlement l'intégrité naturelle de ces pierres. Mais cette fois, elle les exploite individuellement. Et sur chacune d'elles, elle rapporte des matières minérales exogènes (mortiers, galets, marbres, émaux…) qui constituent des extrapolations poétiques de la structure initiale.

     Ces ajouts sont ou discrets ou voyants : soit ils se mêlent à la pierre et portent alors à confusion, soit leur extravagance interpelle. De quelque manière, ils contribuent à une forme de jeu et perpétuent le savoir-faire de la sculptrice pour célébrer le minéral. En l'espèce, ils offrent une plongée atypique dans l'intimité des pierres. Ce Beauchamps nouveau s'étend aux Corpuscules, des œuvres purement imaginaires qui affermissent le lien avec les créations déjà spécifiques à l'artiste.


Pierre Brasseur, scientifique et amateur d'art minéral

La camera oscura de Pascale Beauchamps - Texte de Jean-Louis Masseboeuf

Bien sûr, la nature est généreuse, violente, prodigue, sculptrice infatigable de l’animal, du végétal, du minéral, pourvoyeuse aveugle de beautés qui accrochent l’œil humain et procurent joie et plaisir, et toujours une émotion qui le plus souvent se suffit…
Mais imaginer un instant ce qui pourrait se passer, ce qui pourrait exister autrement si… Ajouter quelque chose, faire surgir le possible, l’improbable, par le dialogue et la confrontation. Façonner patiemment la beauté initiale pour mieux l’ancrer en soi, mieux éprouver sa force d’apaisement. La nommer, non par des mots, non par le langage parfois bavard des hommes, mais par le désir créateur, par des outils et des gestes minutieux, et par l’intervention dans le silence minéral du monde, celle qui a commencé ici par une cueillette de cailloux. C’est ce qu’a fait Pascale Beauchamps qui ouvre le rideau sur la chambre noire imaginée par elle pour nous donner à voir son travail d’orfèvre. Nous entrons dans une étrange nuit constellée de petites lumières drues braquées sur les objets minéralogiques qu’elle a imaginés.
Il peut paraître incongru d’évoquer au sein de cette obscurité la pomme de Cézanne. Et pourtant : cette pomme n’est pas non plus la pomme cueillie de l’arbre qui l’a créée. Elle est autre chose, qui nait dans l’œil humain et devient réalité augmentée du besoin de comprendre les lois obscures de la matière et, peut-être, d’y trouver sa juste place. La couleur et la lumière captées par le peintre sont ici les médiums de cette appropriation du réel.
Là, dans cette obscurité voulue qui efface tout le reste et concentre le regard, chacun des artefacts de Pascale dit un désir identique : relier d’abord pour soi, mais aussi pour les autres, la beauté donnée par les pierres à la force du désir humain d’être, par la création, présent et vivant au cœur du monde des choses. Toute création plastique authentique n’est-elle pas le plus souvent le résultat d’un défi lancé à ce qui, dans l’univers des matières, échappe au langage, à la parole, aux mots, mais qui pourtant parle à chacun de nous dans l’intimité de son regard et de son silence ?
Dans cette chambre noire, on ressent le tendre besoin de l’artiste de se pencher sur les banales pierres d’un chemin, de les recueillir, de les éprouver dans le creux de la main, de les extraire de leur environnement pour mieux les écouter malgré leur mutisme. Et pour finir, dans l’atelier, leur inventer un langage nouveau les agencer entre elles pour créer des lignes, des mouvements, des formes dans lesquelles elles cessent d’être dispersées, inertes. Et donner ainsi à voir et à entendre la confrontation silencieuse entre le regard fragile de l’humain et la matière dure, solide, d’un monde qui existe en dehors de nous, indifférent et muet, mais terriblement présent.
Devant ces miniatures ciselées, on songe à ces mots d’Empédocle d’Agrigente : « Sache que tout ce qui existe a son émanation ». Le travail d’orfèvre de Pascale Beauchamps tend à rendre évident cette émanation des réalités minérales. Le hasard les lui a données, elle les a travaillées, transformées, complétées puis restituées. Elle a arraché un petit caillou, puis dix, puis cent, à un milieu naturel que nous partageons avec eux, elle les a extraits de l’extrême lenteur du temps géologique qui, lui, n’est pas le nôtre. Et voici qu’ils existent autrement et nous parlent, quand nous nous penchons sur eux dans l’obscurité pour comprendre en quoi ils ont changé. C’est là œuvre d’amitié, de bienveillance, mais aussi d’humilité à l’égard de toutes ces pierres qui, quoiqu’on fasse, toujours nous survivront.
Sur une des premières pages de Terraqué de Guillevic, sur une page blanche pleine de silences, ces seules trois petites lignes et une interrogation majeure :
Et si un jour tu vois
Qu’une pierre te sourit,

Iras-tu le dire ?

Par ses objets minéralogiques, ses artefacts, ses corpuscules, ses géodes, Pascale le dit et le redit, et retourne leur sourire aux pierres de nos chemins.

Jean-Louis Masseboeuf – Août 2021